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Obligation de prévention pour les entreprises en difficulté. Allemagne ≠ France

Les dirigeants détectent souvent trop tard les menaces pouvant peser sur la pérennité de l’ activité de leur entreprise. La mise en place d’un système de détection précoce des crises permet d’anticiper ces risques et d’agir rapidement. En cas de faillite, les dirigeants qui négligent cette démarche s’exposent à des sanctions. En Allemagne, les mandataires sociaux encourent d’importantes responsabilités, tant civiles que pénales.

Avec l’entrée en vigueur du § 1 StaRUG le 1er janvier 2021, le législateur a établi une obligation générale et transversale pour la direction de surveiller en permanence les développements économiques et financiers susceptibles de mettre en péril la pérennité de l’entreprise. Si des développements menaçants apparaissent, des mesures appropriées pour éviter la crise doivent être prises à temps et les organes de surveillance informés.

Face à la guerre en Ukraine, au repositionnement des États-Unis sur la scène géopolitique et économique, aux perturbations des chaînes d’approvisionnement et à l’inflation, la nécessité de mettre en place un système d’alerte précoce s’impose de nouveau comme une priorité.

Responsabilité et conséquences pénales en cas de retard dans la déclaration de faillite

Un retard dans la déclaration d’une situation de cessation de paiements ou de surendettement peut exposer la direction à des risques de responsabilité importants. En cas de déclaration tardive, les dirigeants peuvent être tenus personnellement responsables de l’aggravation de la situation financière de l’entreprise, ainsi que des dommages qui en découlent. Leur patrimoine personnel peut alors être mis en péril.

Au-delà des risques de responsabilité civile, les dirigeants qui manquent à leurs obligations peuvent également s’exposer à des sanctions pénales. En particulier, un retard intentionnel ou une négligence grave dans la déclaration de la faillite peut entraîner l’ouverture d’enquêtes pénales à leur encontre.

La nouvelle réglementation de l’article 15b de la loi allemande sur l’insolvabilité (InsO) constitue une menace sérieuse pour les gérants de GmbH, qu’il convient de ne pas sous-estimer en période de crise.
Cette disposition portant sur les paiements effectués après la survenance de l’insolvabilité, des montants significatifs peuvent rapidement s’accumuler, engageant la responsabilité personnelle des gérants sur leur propre patrimoine.

Les obligations de prévention de difficultés des entreprises en Allemagne

Les sources légales des obligations de prévention des difficultés :

La loi “StaRUG” (Gesetz über den Stabilisierungs- und Restrukturierungsrahmen für Unternehmen)

La loi StaRUG, qui fait partie de la loi sur le développement du droit de la restructuration et de l’insolvabilité (SanInsFoG), a codifié une obligation générale et transversale de détection précoce des crises et de gestion de crise pour les dirigeants.

Cette obligation s’applique aux dirigeants de personnes juridiques, tels que les dirigeants de GmbH ou les administrateurs de AG. Ils doivent surveiller en continu les développements susceptibles de menacer la viabilité de la personne juridique. Lorsque de tels développements sont identifiés, des mesures de contre-action appropriées doivent être prises et rapportées aux organes de surveillance.

Le concept de crise selon StaRUG doit être considéré de manière plus large que le concept de crise du droit de l’insolvabilité (InsO – Insolvenzordnung – Code de l’insolvabilité).  Le concept de crise du droit de l’insolvabilité ne comprend que les deux dernières phases de crise selon ( crise de liquidité et situation d’insolvabilité). Le concept de crise selon StaRUG comprend également les phases de crise avant l’apparition d’une menace d’insolvabilité.

Dans la jurisprudence du BGH (Bundesgerichtshof, Cour fédérale de justice allemand), le concept de crise est lié à la solvabilité des entreprises. Selon la définition du BGH, il s’agit d’une crise d’entreprise lorsqu’un tiers indépendant ne prête plus à l’entreprise aux conditions du marché et que l’entreprise serait insolvable sans apport de capital des associés. De plus, la menace de viabilité par le risque de refinancement et la non-solvabilité est incluse dans l’analyse, car une insolvabilité peut également menacer en cas de manque de possibilité de refinancement.

GmbHG (Société à responsabilité limitée)

Pour la direction d’une GmbH, l’obligation de détection précoce des crises découle de l’article 43 GmbHG. Les dirigeants sont tenus d’appliquer la diligence d’un bon gestionnaire, ce qui inclut également l’obligation de détection précoce et de gestion de crise.

InsO (Code de l’insolvabilité)

Conformément à l’article 15a InsO, les dirigeants sont obligés de déposer une demande d’insolvabilité dès la constatation de l’état d’insolvabilité. Cela concerne notamment les cas de cessation de paiements (Zahlungsunfähigkeit) et de surendettement (Überschuldung). L’obligation de détection précoce des crises est implicite dans cette norme, car les dirigeants doivent constamment surveiller la situation financière de l’entreprise pour pouvoir agir de manière proactive.

AktG (Code des sociétés par actions)

L’article 91 paragraphe 2 AktG contient une obligation spécifique d’établir un système de détection précoce des risques pour le conseil d’administration d’une société par actions. Ce système doit identifier précocement les risques menaçant la viabilité et permettre la mise en œuvre de mesures de contre-action appropriées. Cette obligation de surveillance des risques a un effet diffus et est également considérée comme pertinente pour d’autres formes de sociétés.

Ces réglementations visent à obliger les dirigeants à prendre des mesures de manière précoce pour éviter une menace d’insolvabilité et garantir la viabilité de l’entreprise.

Le dirigeant est expressément tenu de :

  • surveiller les évolutions qui pourraient menacer la pérennité de l’entreprise (obligation de détection précoce des crises)
  • prendre des mesures appropriées lorsqu’il identifie de telles évolutions (obligation de prévention et de gestion des crises)
  • Informer immédiatement les organes de surveillance de la direction (obligation d’information)

Comment implémenter un système de détection de crises financières ?

« Comment » la détection précoce des crises doit être réalisée n’a pas été définie par les législateurs ou les organismes de normalisation. Les obligations spécifiques ne sont pas nommées, et il est impossible de trouver une définition dans la loi. Par conséquent, il reste uniquement possible de s’appuyer sur des normes déjà établies ou développées ailleurs. Par exemple, les normes d’audit de l’Institut des Auditeurs en Allemagne (IDW, Institut dre deutschen Wirtschaftsprüfer) ou les principes développés dans le cadre de l’article 91, paragraphe 2, de la loi allemande sur les sociétés par actions (AktG) peuvent être utilisés comme référence pour concevoir un système de détection précoce des risques.

La norme IDW S6 (« Exigences relatives aux plans de redressement »), définit les exigences applicables aux plans de redressement, notamment en ce qui concerne leur plausibilité et leur transparence. La planification financière y joue un rôle central.

Selon l’IDW S6, les plans de redressement doivent répondre aux exigences suivantes en matière de planification financière :

Planification financière intégrée : la planification financière doit inclure une planification intégrée du compte de résultat, des flux de trésorerie et du bilan, de manière cohérente et réaliste.

Horizon de planification : la période recommandée est généralement de trois ans. Dans certains cas justifiés, une période plus longue peut être nécessaire, notamment si les mesures de redressement prennent effet plus tard.

Planification de la trésorerie : une planification détaillée de la trésorerie est indispensable. Elle doit couvrir à la fois le court terme (par exemple, une planification sur 13 semaines) et le moyen terme (sur toute la période de planification). Les effets fiscaux des mesures de redressement doivent également être pris en compte.

Analyses de scénarios : Il est recommandé de modéliser différents scénarios (par exemple, optimiste, de base, pessimiste) afin de tester la robustesse du plan de redressement

Les expertises de redressement conformes aux exigences de l’IDW S6 et respectant la jurisprudence de la Cour fédérale de justice (BGH) servent non seulement à élaborer des mesures de redressement, mais elles doivent également analyser les causes de la crise et déterminer le stade de la crise. Sur cette base, non seulement des mesures pour contrer les effets de la crise doivent être prises, mais idéalement également contre ses causes.

Tout comme pour les mesures de détection précoce des crises, le législateur ne précise pas ici non plus à quoi ces mesures de redressement doivent ressembler. Le texte de loi stipule uniquement que les mesures correctives doivent être adaptées pour écarter une menace pour la continuité de l’entreprise.

Les crises deviennent généralement visibles au stade de la crise de rentabilité ou de liquidité. Dans ces cas, la mise en œuvre de mesures de redressement financières telles que des refinancements, des accords de report ou d’échelonnement avec les principaux créanciers, l’accueil d’investisseurs financiers, le sale-and-lease-back, le factoring ou l’augmentation du capital propre peut être utile. Les instruments de redressement créés par le législateur, tels qu’une procédure StaRUG ou une procédure de plan d’insolvabilité en gestion autonome, doivent également être pris en compte. Ces instruments offrent diverses options de redressement facilitées par le législateur.

La comparaison avec la France

Les cadres législatifs encadrant la prévention des difficultés et, plus largement, la restructuration des entreprises en France et en Allemagne reposent sur des philosophies juridiques distinctes.

D’un côté, le droit allemand de l’insolvabilité et de la restructuration repose sur le principe de l’autonomie des créanciers et sur la maxime de la meilleure satisfaction possible de leurs intérêts. De l’autre, le droit français des difficultés des entreprises – tel que défini dans le livre VI du Code de commerce (articles L. 234-1 et suivants, L. 251-15, L. 612-3) – privilégie une approche axée sur le maintien de l’activité et la préservation des emplois.

En France le dispositif de la prévention des difficultés peut être caractérisé comme interventionniste et volontariste pendant que le dispositif allemand est plus orienté vers la responsabilité des dirigeants et la mise en jeu de leur responsabilité en cas de non-respect des règles dicté surtout par la Insolvenzordnung (InsO), le droit de l’insolvabilité.

En France, les commissaires aux comptes jouent un rôle central dans le dispositif de prévention des difficultés des entreprises. Dans le cadre de leur mission, ils disposent d’un droit d’alerte, un mécanisme essentiel pour garantir la transparence financière et protéger les intérêts des parties prenantes. Prévu par le Code de commerce, ce droit leur permet de signaler toute difficulté grave affectant la gestion ou la situation financière de l’entreprise.
Le droit d’alerte s’exerce par étapes successives et peut, dans certaines conditions, conduire à la convocation d’une assemblée générale des actionnaires, même sans l’accord préalable des organes de direction.
Une telle démarche, marquée par un fort degré d’intervention, serait difficilement envisageable en Allemagne, où aucun dispositif équivalent n’existe dans le rôle des auditeurs ou commissaires.

Le Code de Commerce impose aux entreprises de taille importante de produire des documents comptables prospectifs et rétrospectifs, notamment :

  • La situation ARDPE (Actif Réalisable et Disponible et Passif Exigible) conformément à l’article L.234-2 du Code de commerce.
  • Le tableau de financement, le compte de résultat prévisionnel et le plan de financement prévisionnel, tel que requis par l’article L.232-1 du Code de commerce.

Ces documents visent à fournir une vue détaillée et fiable sur la santé financière et les perspectives économiques de l’entreprise. Les obligations relatives à ces documents s’appliquent aux entreprises répondant à l’un des critères suivants, tels que définis à l’article L.612-2 du Code de commerce :

  • Un effectif supérieur ou égal à 300 personnes.
  • Un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 18 millions d’euros.

Ces documents doivent être examinés par les organes de contrôle (conseil d’administration ou conseil de surveillance). Ils sont également examinés par les commissaires aux comptes.

Contrairement à l’Allemagne, la France dispose depuis plus de quarante ans d’un cadre juridique solide et éprouvé en matière de sauvegarde des entreprises, notamment à travers les procédures amiables, et en particulier la procédure de conciliation.

Instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, la conciliation a remplacé le règlement amiable instauré par la loi du 1er mars 1984 et réformé en 1994. Sa finalité demeure inchangée : permettre le redressement de l’entreprise en difficulté en dehors de toute procédure judiciaire formelle, de manière rapide et, le plus souvent, confidentielle. Cette démarche repose sur l’intervention d’un conciliateur désigné par le président du tribunal, chargé de faciliter un accord entre l’entreprise et ses principaux créancier

En Allemagne, comme évoqué précédemment, la philosophie de la prévention repose sur un cadre plus contraignant, centré sur l’obligation de mettre en place un système de détection précoce des difficultés. Des sanctions significatives sont prévues en cas de manquement à ces obligations, notamment en cas d’absence de déclaration ou de déclaration tardive d’un état de cessation de paiements ou de surendettement.

L’Allemagne a adopté en 2021 avec la loi sur la stabilisation et la restructuration des entreprises (dite loi StaRUG) un dispositif permettant le redressement des entreprises à un stade précoce, c’est-à-dire avant qu’elles n’atteignent celui de l’insolvabilité. La loi StaRUG offre donc aux entreprises davantage de possibilités qu’un redressement extrajudiciaire et permet de prendre un nouveau départ sur le plan financier, sans qu’une procédure d’insolvabilité soit nécessaire. Par cette loi, le législateur allemand a transposé la directive européenne relative aux cadres de restructuration préventive du 20 juin 2019, tout en s’inspirant du droit français.

Néanmoins, le dispositif français demeure clairement orienté vers la sauvegarde de l’activité économique et la préservation des emplois. Il prévoit plusieurs mécanismes visant à augmenter les chances de succès des procédures amiables.
Parmi eux figure la possibilité d’imposer des moratoires aux créanciers récalcitrants, dans le cadre d’un accord de conciliation homologué, renforçant ainsi l’efficacité de la procédure. De plus, le débiteur est dispensé de déclarer l’état de cessation des paiements survenu pendant la durée de la conciliation, tant que celle-ci est en cours.
L’un des atouts majeurs de cette procédure réside dans le privilège de conciliation : lorsqu’un accord est homologué, les créanciers ayant participé bénéficient d’une amélioration de leur rang, leur conférant une priorité de remboursement en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective, et en particulier d’une liquidation judiciaire. Ces créanciers sont ainsi remboursés avant la majorité des autres, n’étant devancés que par les frais de justice et le super privilège des salariés.

La conversion dans une cession de l’entreprise organisé durant la conciliation et l’implémentation de cette cession par une procédure collective offrant un maximum de sécurité juridique (prepack cession) reste également un dispositif non repris en droit allemand.

Recommandations

La maîtrise approfondie des dispositifs de traitement des difficultés, tant en France qu’en Allemagne, est indispensable pour les intervenants tels que les managers de transition de type CRO (Chief Restructuring Officer). Cette expertise est un facteur clé de succès pour toute opération de restructuration, en particulier dans un contexte franco-allemand.

En France comme en Allemagne, un manager de transition spécialisé dans la prévention et la restructuration peut recourir à des outils conformes aux exigences légales, tels que des prévisions de trésorerie hebdomadaires et des plans financiers intégrés. Ces instruments permettent de suivre de près la situation financière de l’entreprise et de mettre en œuvre rapidement les mesures correctrices nécessaires.
Lorsqu’ils sont mobilisés en amont, ces experts sont en mesure d’identifier des leviers de croissance, de repenser le modèle économique et de redynamiser l’organisation. Rompus à la gestion de situations complexes et urgentes, les managers de transition interviennent de manière temporaire et ciblée. Leur action permet non seulement d’accompagner la transformation de l’entreprise, mais aussi de sécuriser les dirigeants en limitant leur exposition aux risques de responsabilité.

 

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DIRECTION - MANAGEMENT DE CRISE

Ingo Schäfer