Les cadres législatifs encadrant la prévention des difficultés et, plus largement, la restructuration des entreprises en France et en Allemagne reposent sur des philosophies juridiques distinctes.
D’un côté, le droit allemand de l’insolvabilité et de la restructuration repose sur le principe de l’autonomie des créanciers et sur la maxime de la meilleure satisfaction possible de leurs intérêts. De l’autre, le droit français des difficultés des entreprises – tel que défini dans le livre VI du Code de commerce (articles L. 234-1 et suivants, L. 251-15, L. 612-3) – privilégie une approche axée sur le maintien de l’activité et la préservation des emplois.
En France le dispositif de la prévention des difficultés peut être caractérisé comme interventionniste et volontariste pendant que le dispositif allemand est plus orienté vers la responsabilité des dirigeants et la mise en jeu de leur responsabilité en cas de non-respect des règles dicté surtout par la Insolvenzordnung (InsO), le droit de l’insolvabilité.
En France, les commissaires aux comptes jouent un rôle central dans le dispositif de prévention des difficultés des entreprises. Dans le cadre de leur mission, ils disposent d’un droit d’alerte, un mécanisme essentiel pour garantir la transparence financière et protéger les intérêts des parties prenantes. Prévu par le Code de commerce, ce droit leur permet de signaler toute difficulté grave affectant la gestion ou la situation financière de l’entreprise.
Le droit d’alerte s’exerce par étapes successives et peut, dans certaines conditions, conduire à la convocation d’une assemblée générale des actionnaires, même sans l’accord préalable des organes de direction.
Une telle démarche, marquée par un fort degré d’intervention, serait difficilement envisageable en Allemagne, où aucun dispositif équivalent n’existe dans le rôle des auditeurs ou commissaires.
Le Code de Commerce impose aux entreprises de taille importante de produire des documents comptables prospectifs et rétrospectifs, notamment :
- La situation ARDPE (Actif Réalisable et Disponible et Passif Exigible) conformément à l’article L.234-2 du Code de commerce.
- Le tableau de financement, le compte de résultat prévisionnel et le plan de financement prévisionnel, tel que requis par l’article L.232-1 du Code de commerce.
Ces documents visent à fournir une vue détaillée et fiable sur la santé financière et les perspectives économiques de l’entreprise. Les obligations relatives à ces documents s’appliquent aux entreprises répondant à l’un des critères suivants, tels que définis à l’article L.612-2 du Code de commerce :
- Un effectif supérieur ou égal à 300 personnes.
- Un chiffre d’affaires supérieur ou égal à 18 millions d’euros.
Ces documents doivent être examinés par les organes de contrôle (conseil d’administration ou conseil de surveillance). Ils sont également examinés par les commissaires aux comptes.
Contrairement à l’Allemagne, la France dispose depuis plus de quarante ans d’un cadre juridique solide et éprouvé en matière de sauvegarde des entreprises, notamment à travers les procédures amiables, et en particulier la procédure de conciliation.
Instituée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, la conciliation a remplacé le règlement amiable instauré par la loi du 1er mars 1984 et réformé en 1994. Sa finalité demeure inchangée : permettre le redressement de l’entreprise en difficulté en dehors de toute procédure judiciaire formelle, de manière rapide et, le plus souvent, confidentielle. Cette démarche repose sur l’intervention d’un conciliateur désigné par le président du tribunal, chargé de faciliter un accord entre l’entreprise et ses principaux créancier
En Allemagne, comme évoqué précédemment, la philosophie de la prévention repose sur un cadre plus contraignant, centré sur l’obligation de mettre en place un système de détection précoce des difficultés. Des sanctions significatives sont prévues en cas de manquement à ces obligations, notamment en cas d’absence de déclaration ou de déclaration tardive d’un état de cessation de paiements ou de surendettement.
L’Allemagne a adopté en 2021 avec la loi sur la stabilisation et la restructuration des entreprises (dite loi StaRUG) un dispositif permettant le redressement des entreprises à un stade précoce, c’est-à-dire avant qu’elles n’atteignent celui de l’insolvabilité. La loi StaRUG offre donc aux entreprises davantage de possibilités qu’un redressement extrajudiciaire et permet de prendre un nouveau départ sur le plan financier, sans qu’une procédure d’insolvabilité soit nécessaire. Par cette loi, le législateur allemand a transposé la directive européenne relative aux cadres de restructuration préventive du 20 juin 2019, tout en s’inspirant du droit français.
Néanmoins, le dispositif français demeure clairement orienté vers la sauvegarde de l’activité économique et la préservation des emplois. Il prévoit plusieurs mécanismes visant à augmenter les chances de succès des procédures amiables.
Parmi eux figure la possibilité d’imposer des moratoires aux créanciers récalcitrants, dans le cadre d’un accord de conciliation homologué, renforçant ainsi l’efficacité de la procédure. De plus, le débiteur est dispensé de déclarer l’état de cessation des paiements survenu pendant la durée de la conciliation, tant que celle-ci est en cours.
L’un des atouts majeurs de cette procédure réside dans le privilège de conciliation : lorsqu’un accord est homologué, les créanciers ayant participé bénéficient d’une amélioration de leur rang, leur conférant une priorité de remboursement en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure collective, et en particulier d’une liquidation judiciaire. Ces créanciers sont ainsi remboursés avant la majorité des autres, n’étant devancés que par les frais de justice et le super privilège des salariés.
La conversion dans une cession de l’entreprise organisé durant la conciliation et l’implémentation de cette cession par une procédure collective offrant un maximum de sécurité juridique (prepack cession) reste également un dispositif non repris en droit allemand.